Le Moyen Age - Première partie

Les Carolingiens

Charlemagne passa une bonne partie de sa longue vie - il vécut 72 ans - à faire la guerre, contre les Lombards établis en Italie, contre les Saxons qu'il convertit au christianisme, en Espagne contre le calife de Cordoue en Andalousie, contre les Slaves, contre les Avars qui terrorisaient les marches de l'Est.


Carte de l'empire de Charlemagne à son apogée

 

Charles commença son règne par une expédition contre les Lombards et, en 774, prit le titre de roi d'Italie. Désormais, il n'y avait plus d'autres différences entre les frontières de la Chrétienté et celles du royaume des Francs que les royaumes de l'archipel britannique. En dehors de ces îles, tous les Chrétiens occidentaux d'obédience romaine étaient réunis sous la même domination politique. Ceci nous aide à comprendre les autres expéditions de Charlemagne qui furent, pour la plupart, défensives, soit contre les Saxons ou contre les Slaves, ou encore contre les Musulmans d'Espagne. En 778, il conduisit une grande armée au-delà des Pyrénées, prit Pampelune et assiégea, mais en vain, la ville de Saragosse. C'est pendant son retour en France qu'eut lieu, dans les Pyrénées, l'attaque de l'arrière-garde de son armée (15 août 778). Dans le fond du val de Roncevaux, les Wascons (les Basques) engagèrent contre les Francs une lutte atroce et implacable qui se termina par la mort de tous les Francs, y compris Roland, neveu de l'empereur. Le souvenir de cette bataille passa de génération en génération dans des chants héroïques et funèbres, d'abord en langue tudesque, puis en langue romane, jusqu'à ce qu'il fût immortalisé par une chanson de geste qui porte le nom de Chanson de Roland. Trois siècles plus tard, selon Wace, les soldats de Guillaume le Conquérant, entonnaient la Chanson de Roland en s'avançant vers le champ de bataille de Hastings.

 

Cet échec de Charlemagne ne l'empêcha point de lancer d'autres expéditions destinées à éloigner les Maures des frontières de l'empire franc, et, d'autre part, a leur faire évacuer Baléares, la Corse et la Sardaigne.

 

A la fin du VIIIe siècle, les Francs avaient réussi à établir l'ordre dans toute l'ancienne Gaule, à conquérir la Germanie, les trois quarts de l'Italie et le nord de l'Espagne. Leur roi était devenu le plus puissant prince de l'Europe et, comme son père, il était le défenseur de la foi chrétienne. Il n'est donc pas surprenant que, le jour de Noël, en l'an 800, dans l'église Saint-Pierre à Rome, le pape Léon III lui mît la couronne impériale sur la tête, pendant que les fidèles l'acclamaient comme « le grand et pacifique empereur des Romains ». Le titre impérial, disparu de l'occident depuis les invasions barbares, était ressuscité, mais reposait cette fois sur le Christianisme. D'ailleurs l'empereur s'inquiéta toujours de l'état des églises : « Que les toitures soient toujours en bon état, les luminaires allumés, les offices célébrés régulièrement. » (in Capitulaire de Villis ).

Bien mieux que ses prédécesseurs, Charlemagne s'efforça d'organiser son empire. Il envoya, même dans les régions les plus éloignées, des représentants de son autorité, les missi dominici (voir note 33) , sortes d'inspecteurs choisis par l'empereur, qui veillaient à l'exécution de ses ordres à travers les 300 comtés de l'empire ; il donna à ceux-ci comme tâche principale celle de faire rendre justice « aux églises, aux veuves, aux orphelins et à tout le peuple ». Charlemagne voulut être un souverain obéi : « Que personne n'ose troubler en quoi que ce soit l'ordre du grand empereur, ni l'empêcher, ni le diminuer, ni faire des choses contraires à ses volontés ou à ses ordres. » (in Capitulaire de Villis ).

 

Toujours entouré de trois sages conseillers, il tenait une fois par an une assemblée où étaient conviés nobles et évêques ; il s'informait, sollicitait des avis, puis prenait ses décisions. Il édicta des lois, les célèbres capitulaires applicables à tout l'empire. Lues à haute voix et publiées, elles formaient un ensemble de prescriptions, aujourd'hui précieux documents qui montrent toutes les questions auxquelles s'étendait la sollicitude de l'empereur.

 

Soucieux d'équité, redoutant l'arbitraire et la brutalité des Comtes, il leur recommande : « Qu'aucun comte ne tienne ses plaids s'il n'est à jeun et de sens rassis ; qu'ils jugent selon la loi écrite et non selon leur bon plaisir ; qu'ils n'aient pas l'audace d'accepter quelque présent pour exempter des hommes de service militaire. » (in Capitulaire de Villis ) .

 

Enfin, à la différence de ses devanciers qui étaient sans domicile fixe, il établit sa capitale à Aix-la-Chapelle. La « chapelle » qu'il y fit construire était un bâtiment de forme octogonale, surmonté d'un dôme et orné à l'intérieur de mosaïques. On fit venir d'Italie les grilles de bronze qui le décoraient et sans doute aussi des colonnes, car, depuis le commencement des temps barbares, ce qui restait de l'art ne cessait de se parer des dépouilles de Rome.


Plan détaillé d'Aix la Chapelle

 

Afin de combattre l'ignorance et les superstitions, Charlemagne encouragea la fondation d'écoles attachées aux églises. Après la fondation de l'empire, considérant l'antique gloire de Rome, à laquelle avaient contribué tant d'écrivains célèbres, il lui apparut que les lettres étaient l'ornement obligé d'un grand règne. C'est ainsi qu'il prit l'initiative d'un mouvement intellectuel, littéraire et artistique auquel on a donné le nom, avec quelque raison, de Renaissance carolingienne : « Nous vous exhortons non seulement à ne pas négliger l'étude des lettres, mais à vous y appliquer afin de mieux pouvoir pénétrer le sens des livres saints. Soyez dévots au-dedans, et savants au-dehors », écrit l'empereur à un abbé.

 

Le plus célèbre des lettrés que l'empereur appela pour diriger cette renaissance intellectuelle, est sans doute le moine anglo-saxon Alcuin, un écrivain et un pédagogue remarquable, précepteur de Pépin, le second fils de Charlemagne. Il devint son conseiller et ami et eut l'idée de fonder des écoles dans les villes épiscopales, dans les monastères, même une espèce d'Académie dans le propre palais de Charlemagne, à Aix-la-Chapelle. Tout cela lui a fait grand honneur, ainsi qu'à son roi.

Alcuin a laissé un étonnant dialogue où les questions traduisent l'interrogation devant le mystère de l'homme et du monde, où les réponses, particulièrement denses et d'une rare poésie, sont autant de sujets de méditation proposés à l'élève. En voici un court extrait :

 

«  Pépin. - Qu'est-ce que la vie ?

Alcuin. - Une jouissance pour les heureux, une douleur pour les misérables. L'attente de la mort.

Pépin. - Qu'est-ce que la mort ?

Alcuin. - Un événement inévitable, un voyage incertain, un sujet de pleurs pour les vivants, la confirmation des testaments, le larron des hommes.

Pépin. - Qu'est-ce que l'homme ?

Alcuin. - L'esclave de la mort, un voyageur passager, hôte dans sa demeure.

Pépin. - Comment l 'homme est-il placé ?

Alcuin. - Comme une lanterne exposée au vent...

Pépin. – Qu'est-ce que le soleil ?

Alcuin. - La splendeur de l 'univers, la beauté du firmament, la grâce de la nature, la gloire du jour, le distributeur des heures...

Pépin. - Qu'est-ce que la terre ?

Alcuin. - La mère de tout ce qui croît, la nourrice de tout ce qui existe, le grenier de la vie, le gouffre qui dévore tout.

Pépin. - Qu'est-ce que la mer ?

Alcuin. - Le chemin des audacieux, la frontière de la terre, l'hôtellerie des fleuves, la source des pluies...

Pépin. - Quel est le sommeil de ceux qui sont éveillés ?

Alcuin. - L'espérance.

Pépin. - Qu'est-ce que l 'espérance ?

Alcuin. - Le rafraîchissement du travail, un événement douteux.

Pépin. – Qu'est-ce que la foi ?

Alcuin. - La certitude des choses ignorées et merveilleuses. »

 

C'est aussi lui, Alcuin, qui consacra la division des connaissances en sept arts : la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'astronomie. C'est lui également qui réforma l'écriture, devenue de plus en plus illisible, et tira de la minuscule latine l'écriture dite « caroline » : Charlemagne savait lire, mais il paraît être resté malhabile dans l'art d'écrire, qu'il commença à apprendre trop tard, et il signait d'une croix, orné il est vrai d'un K, d'un R et d'un S, pour KaRoluS, forme latine de Charles. Il contribua pourtant au développent de l'écriture et indirectement de l'imprimerie. L'écriture telle que la pratiquaient alors les copistes des monastères était fort incertaine, chacun d'eux ayant un art qui lui était propre. Or, il se trouva que les moines de la petite ville de Corbie, en Picardie, inventèrent une écriture à la fois claire, élégante, et beaucoup plus pratique que les encombrantes majuscules latines. Alcuin et Charlemagne encouragèrent la diffusion de cette écriture, améliorée dans d'autres monastères. Longtemps plus tard, au quinzième siècle, cette « minuscule carolingienne » ( ou « caroline ») fut adoptée pour les livres imprimés. C'est elle que nous employons toujours, sous le nom de caractères romains.

 

Alcuin fit recopier tous les textes classiques qu'il put trouver et préserva ainsi une bonne partie de la littérature latine. Alcuin fut le précepteur de l'empereur, de ses fils, de ses filles et de tous les grands du palais. Par la suite, tous les hommes célèbres de l'époque vinrent étudier à ce qu'on appela « l'Académie palatine » à Aix-la-Chapelle.

 

Dans d'autres villes de l'empire, des écoles furent organisées et des centres culturels et artistiques se formèrent. La littérature sacrée continua naturellement à tenir une grande place : les Commentaires des Évangiles furent nombreux, ainsi que les Vies de Saints et les Recueils de Miracles . La seconde place fut occupée par l'histoire. L'œuvre historique la plus remarquable de cette époque fut La vie de Charlemagne, par Eginhard, dont nous avons déjà parlé et grâce à laquelle nous avons des renseignements précieux sur le caractère de l'empereur, les mœurs de sa famille et les progrès des lettres et des arts pendant son règne.

Le latin était toujours la langue officielle des belles lettres et de l'administration. Cependant le « roman », cette déformation du latin populaire faisait de grands progrès et était employé dans la plus grande partie de la Gaule.

On ne peut pas dire que Charlemagne fut un administrateur de génie car il ne fit que perfectionner les moyens de gouvernement qui existaient avant lui. Il ne fut pas non plus un grand homme de guerre. Quant à la renaissance des lettres et des arts, elle fut, en somme, assez brève. Néanmoins, l'histoire célèbre son règne comme un des plus grands, car Charlemagne sut instaurer, sur les ruines de l'empire romain, un empire européen dans lequel tous les peuples étaient régis par la même administration et soumis aux mêmes lois. Douze siècles plus tard, l'Europe se souvient avec nostalgie de cette organisation et tente de reconstituer un même ensemble.
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